Michel Cornu

Expressionniste abstrait à l’origine, la peinture de Michel Cornu est formes vives, lignes brisées, visages grimaçants. La figure traumatique du « mendiant » qui évoque les différences entre les mondes est fondatrice de son travail.

Depuis une dizaine, Michel Cornu s’est dirigé vers un support unique, le papier.

Pratiquant la gravure avec intensité, les formes se simplifient, la couleur diminue.

Dans ses dessins récents, Michel Cornu superpose les traits, les lignes jusqu’à saturation de la couleur. La couleur noire est lumineuse, la matière écrase la matière et fait comme un cosmos dans lequel percent des pépites, des étoiles et des incandescences.

Michel Cornu donne avec simplicité ses références de l’époque, Zao Wou Ki, Antoni Tàpies, Roger Decaux, et même le tribut qu’il doit à Osamu Yamasaki. Comprendre ces références (matières, dessins, ombres, nuances, transparences, opacités) c’est aussi se saisir du dessein du peintre et du dessinateur : trouver une écriture singulière. Il la trouve avec une rapidité foudroyante tant est forte sa volonté, tant est grand son acharnement au travail de la peinture. Mais lorsque le ressenti est trop fort il s’agit surtout d’éviter de le décrire et empêcher le descriptif et l’illustratif. Il faut transcender le ressenti, le dépasser pour trouver, au cœur même de la peinture, ce qui lui donne toute son autonomie. Le cri alors se mue en cri pour le regardeur même.  

Cela le conduit à simplifier les formes, à réduire la couleur et certainement, sous l’effet de la gravure qu’il pratique avec intensité (incision, aquatinte), de montrer de plus en plus le processus de construction de et dans son travail. Un temps, il construit ses formes selon un modèle quasi végétal dont René Passeron aurait dit qu’il est génésique. Je pense à cette plante du début de l’humanité qui trouve son déploiement dans un processus de division : la prêle. C’est ainsi que Michel Cornu, de la racine au fruit, monte, construit la forme de ses figures en suivant une sève naturelle (celle du corps et celle de l’observation). Excès au départ, saturation puis nécessité de réduction, de tempérance sont les acteurs de sa création. Puis, une fois la forme assumée c’est le retour à une plus grande liberté, mais contenue dans le pouvoir du corps, dans ce que la main et le bras peuvent concilier d’expressivité. Il précise qu’en allongeant son format cela l’oblige à modifier son dessin, ses formes (réduire en largeur, allonger son dessin). On voit bien que la contrainte joue pour une liberté plus grande, pour un renouvellement des expériences et surtout pour envisager ce qui n’a pas encore été aperçu. La gravure l’a libéré du dessin qui le libère de la gravure. Ce cheminement, continu, de l’une à l’autre, d’une forme à l’autre, est malgré tout l’affirmation de la ressemblance et d’une identité toujours renouvelées.

Je n’ai pas encore évoqué la violence apparente et contenue de ses œuvres, celles anciennes et celles d’aujourd’hui. Ce qui s’est joué dans la période fondatrice de la figure du mendiant, c’est-à-dire ce rapport entre l’irréel (je ne peux y croire !) et le réel (quels contrastes !) reste le socle et l’exigence de cette œuvre. Violence qui trace les ellipses du corps, les courbes du geste, violence qui écrase les pigments, ponceuse qui crisse sur la surface et en fait ressortir de multiples signes (fragments) qui s’inventent dans une douceur magnétique. Ordre et chaos non pas séparés mais combinés, superposés, engloutis l’un dans l’autre. La réussite n’est donc pas, comme souvent dans une œuvre plastique, la fin du travail, l’apothéose des organisations, mais plutôt une suspension infinie qui n’en finit pas de ne pas finir.

Les lacis des lignes enchevêtrées qui apparaissent puis disparaissent dans le processus de recouvrement d’abord inventent des formes, des archipels puis, grâce au ponçage c’est comme si l’artiste tentait un chemin de retour qu’il sait impossible. Il n’efface pas la mémoire, il n’estompe pas tous les parcours. Ce sont toujours des îles isolées et liées qui s’entrecroisent dans l’éclair d’une lumière diffuse. C’est l’unité des contraires, c’est l’un des opposés. C’est cela qui produit la beauté manifeste des derniers dessins du peintre. Il peint la ligne qui dessine la couleur.” Germain, Roesz, juin 2019

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